
Comme je l’avais détaillé dans mes articles précédents sur le burn-out parental, on ne tombe pas brutalement dans cet état d’épuisement du jour au lendemain. Mais alors comment en arrive t-on à un tel degré d’épuisement et comment cet état s’installe t-il progressivement et insidieusement. Je vous propose donc de décortiquer les raisons qui entraînent certains parents vers le burn-out parental.
Avant le burn-out.
Comme pour le burn-out professionnel, nous observons, juste avant que le burn-out parental ne se déclare, une phase haute, que le psychologue Cary COOPER a appelé le “Burn-in”. C’est un moment d’hyperinvestissement et d’hyper présence avec une appétence pour l’excellence, un souhait de perfection, une nécessité de trop bien faire, des exigences très élevées et des ambitions qui sont (mais le parent ne le sait pas encore) quasi inatteignables.
Dans mon précédent article sur le burn-out parental je vous avais décrit les quatre facettes de ce syndrome. Afin de comprendre comment certains parents en arrivent à ce stade d’épuisement, je vous propose de voir ensemble les cinq phases qui le précèdent. Ce sont M. MIKOLAJCZAK et I. ROSKAM (Le Burn-out parental. L’éviter et s’en sortir, M. Mikolajczak, I. Roskam, Odile Jacob, 2020) qui ont décrit et analysé ces phases que l’on retrouve juste avant le syndrome d’épuisement.
- Le parent idéal
- Le surinvestissement
- Le sacrifice de soi
- La frustration
- La perte d’énergie
Notons que tous les parents en situation de burn-out ne sont pas forcément passés par tous ces stades et que la durée de chaque phase est différente d’une personne à l’autre.
Je vous propose donc d’analyser ces 5 phases afin de comprendre comment nous pouvons en arriver à un tel épuisement. L’idée pour moi c’est de vous donner les clés qui vous aideront à reconnaître si vous êtes “à risque” et peut-être même à anticiper un éventuel burn-out parental qui serait en train de s’installer. Pour décrire ces phases je m’appuierai sur les travaux de M. MIKOLAJCZAK et I. ROSKAM qui font actuellement partie des rares docteurs en psychologie à avoir étudié ce phénomène.
Première phase précédant le burn-out parental: L’idéal parental et familial
Durant cette première phase, le parent a une vision idéale de son rôle. Il veut être un super parent et vise la perfection. Il a une idée très précise et très idéalisée de sa responsabilité d’éducation et de soin. Il se fixe des idéaux de vie et des valeurs familiales très élevées avec des buts de perfection à atteindre.
Se désir d’idéal peut trouver racine dans différentes sources:
- Comme nous l’avions vu dans mon article sur la pression parentale, ce désir de perfection peut venir de l’extérieur, de la pression sociétale, cela peut être dans les livres ou les magazines que le parent va lire, dans les publicités, sur les réseaux sociaux…
- Parfois l’origine de la pression vers la perfection provient d’une vieille blessure. Ce sont par exemple des parents qui ont souffert étant enfants d’avoir des parents qui ne s’investissaient pas du tout, qui étaient absents, maltraitants ou instables… en idéalisant leur rôle, les parents veulent réparer l’image parentale avec laquelle ils ont évolué. La blessure peut aussi provenir d’une mauvaise image familiale. Si les parents ont souffert de la séparation ou du divorce de leurs propres parents, ils peuvent par exemple avoir à cœur de créer une famille idéale.
- Certains parents stigmatisés en raison d’une différence peuvent souffrir du regard négatif que la société porte sur eux et se sentir obligés d’être irréprochables par peur d’être jugés. Il s’agit par exemple de parents solos, pauvres, obèses, homosexuels…
Vous l’aurez compris, le parent qui vise un idéal peut avoir différentes raisons (la liste citées précédemment n’est pas exhaustive) qui le poussent à chercher la perfection. Lorsqu’une personne sombre en burn-out il est d’ailleurs toujours intéressant de comprendre d’où vient ce besoin d’être parfait.
Les parents qui ont une vision idéalisée de la parentalité et de la famille n’ont souvent pas encore conscience qu’aucun parent n’est parfait. Je vous invite à lire ou relire mon article sur “ La mère suffisamment bonne” pour comprendre à quel point un parent parfait serait même toxique pour son enfant.
Deuxième phase précédant le burn-out parental : Le surinvestissement.
Le parent ayant une vision idéalisée de son rôle va, par conséquent, s’investir à la hauteur de ses attentes. Cela peut commencer très tôt avec l’envie de porter son bébé en écharpe, d’allaiter à la demande, d’être hyper investi et exclusivement disponible pour son bébé, de faire soi-même les petits pots pour son enfant, utiliser des couches lavables ou pratiquer l’hygiène naturelle infantile… Plus tard, ce sont aussi des parents qui vont faire travailler leurs enfants en dehors des heures d’école, leurs proposer de nombreuses activités extra scolaires, passer du temps à préparer des repas très équilibrés et se donner sans compter. Bien évidemment tous les parents très investis dans leur rôle ne finissent pas en burn-out ! Ce qui fait pencher la balance, ce seront les ressources dont disposent les parents. Si l’investissement auprès de leurs enfants est compensé par le bonheur que cela leur apporte, si les parents réussissent à avoir d’autres sources de plaisir en dehors de leur parentalité et qu’ils ont des aides extérieures, ils peuvent tout à fait fonctionner de cette manière sans pour autant finir épuisés.
Il faut aussi noter que parfois le surinvestissement n’est pas dû à une vision idéalisée de la parentalité mais qu’il est contraint. Avoir un enfant porteur d’un handicap ou atteint d’une maladie peut demander un investissement parental plus important par exemple. Dans tous les cas, il faut toujours mettre en balance l’investissement et les ressources des parents. Tant qu’ils ont suffisamment de ressources, les parents ne risquent pas de s’épuiser.
Ce qui est important à analyser dans cette deuxième phase c’est à quel point le parent se sent indispensable pour son enfant. En effet, lorsqu’un parent à l’impression qu’il est le seul à pouvoir s’occuper de son enfant, qu’il n’arrive pas à déléguer, il rentre alors dans un véritable cercle vicieux. Il se sent indispensable alors il s’investit, plus il s’investit et plus il se sent indispensable…
Troisième phase précédant le burn-out parental : Le sacrifice de soi.
Dans cette phase le parent est tellement investi qu’il s’oublie complètement. Le couple est relégué au second plan pour toujours donner la priorité aux enfants. Ses loisirs (faire du sport, voir ses amis, lire, faire les boutiques…) sont progressivement délaissés. Le parent est tellement investi dans son rôle de super parent idéal qu’il s’oublie et que sa vie se résume à être seulement un père ou une mère. Parfois ce sacrifice de soi va très loin. J’ai déjà vu des parents sauter régulièrement des repas ou ne pas se laver pour s’occuper toujours un peu plus de leurs enfants.
Quatrième phase précédant le burn-out parental : La frustration.
Dans cette quatrième phase, le parent commence à ressentir de la frustration. Cette dernière émerge au début discrètement puis prend peu à peu beaucoup de place. Cette frustration arrive de différentes manières:
- Elle peut arriver, par exemple, lorsque le parent qui s’investit à fond n’a aucune reconnaissance (du conjoint, des enfants, de la famille élargie, de l’école…)
- Elle apparaît également lorsque les efforts ne portent pas leurs fruits. Prenons par exemple un parent qui s’investit à fond dans l’instruction de ses enfants, qui les fait travailler plus que nécessaire et qui se retrouve avec un enfant en difficulté ou en décrochage scolaire. Ou encore un parent qui porte son enfant en écharpe plusieurs heures par jour, allaite à la demande et pratique le co-dodo dans le but d’apaiser au maximum son enfant mais qui se retrouve avec un bébé qui pleure énormément.
- La frustration peut aussi survenir quand le parent s’est tout simplement trop sacrifié. Ce sera par exemple un père très sportif qui avait l’habitude de faire plusieurs heures de sport toutes les semaines et qui s’est totalement arrêté pour s’occuper de ses enfants.
Encore une fois, cette liste n’est pas exhaustive et tous les parents frustrés à un moment ou à un autre (ça arrive forcément !) ne sombrent pas en épuisement parental.
Voici un extrait de l’ouvrage Le Burn-out parental. L’éviter et s’en sortir de M. Mikolajczak, I. Roskam, Odile Jacob, 2020. Je cite : “ Freudenberger disait que le burn-out est “un état de fatigue ou de frustration résultant du dévouement à une cause, à un mode de vie ou à une relation qui n’a pas donné les bénéfices escomptés”. Sa conception illustre bien à quel point la frustration fait le lit du burn-out”.
Cinquième phase précédant le burn-out parental : La perte d’énergie.
Lorsque le parent se rend compte des sacrifices que son rôle nécessite, lorsqu’il a accumulé beaucoup de fatigue (physique et psychique), que la frustration prend de plus en plus de place dans le quotidien, alors il commence à ressentir une perte d’énergie, un “coup de mou”. Au début, le parent continue sur sa lancée et persiste à s’investir autant. Quelques changements dans son comportement sont observables mais rien d’alarmant. Ce sera par exemple un parent qui perd plus vite patience, qui s’énerve plus facilement ou qui est plus souvent “dans la lune”. Et c’est bien là le problème ! Cette perte d’énergie est une phase critique qui, si elle persiste, peut faire basculer le parent vers le burn-out. C’est justement à ce moment précis qu’il faut enclencher des changements.
Chaque situation étant unique et différente, chaque parent bénéficiant de ressources précises et différentes, il n’existe pas un manuel expliquant comment agir à ce stade. Pour certains parents étant dans cette cinquième phase il suffira de modifier quelques aspects de leur quotidien alors que d’autres auront déjà besoin, à ce stade, d’une aide psychologique extérieure pour sortir de cet engrenage.
Le burn-out (phases 6-7-8-9).
Les phases 6-7-8-9 sont les phases du burn-out. Pour en savoir plus je vous invite à lire ou relire mon article sur le burn-out parental dans lequel je reprends et décrit chacun de ces stades.
Pour finir, j’attire votre attention sur le fait que tous les parents en burn-in (et nous sommes nombreux à connaître des moments de burn-in à des degrés divers !) ne finissent pas tous en burn-out. Néanmoins, l’intensité de cette phase montante va fragiliser les parents. Je vous invite donc à rester vigilants aux différents signes présentés dans cet articles qui prendraient trop de place dans votre quotidien et surtout aux signes de fatigue physique et psychologique qui commenceraient à s’installer.
A bientôt,
Anne-Sophie Le Poder.
Bibliographie
Comment traiter le burn-out parental ? Manuel d’intervention clinique, Maria Elena Brianda, Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak, De Boeck Supérieur s. a, 2019
Le Burn-out parental. L’éviter et s’en sortir, M. Mikolajczak, I. Roskam, Odile Jacob, 2020
Le burn out parental, Liliane Holstein,Josette Lyon, 2015
Maria Elena Brianda, Isabelle Roskam, Moïra Mikolajczac, “Hair cortisol concentration as biomarker for parental burnout”, Psychoneuroendocrinology, 2020, 117, 104681